À cette époque, je partageais mes loisirs entre la pêche à la ligne et ma tribu de copains et de copines, de joyeux et turbulents adolescents. Autant dire entre sérénité contemplative et vibrations folles.
On était en juillet et la chaleur de l'été m'avait fait choisir de tenter quelques perches à la cuillère sur les berges de la rivière où j'avais mes habitudes plutôt que de passer mon temps au bistrot du village où j'avais d'autres habitudes qui n'avaient en commun avec les premières qu'un rapport avec des éléments liquides.
J'avais déjà piqué trois petits spécimens quand je suis arrivé au lieu qu'on nommait le trou du boche depuis qu'un soldat allemand s'y était noyé pendant l'Occupation disait-on.
Alors que la rive où je me trouvais était plutôt sauvage, celle d'en face constituait une petite plage de sable où habituellement en cette saison les baigneurs s'agrégeaient joyeusement dans le brouhaha des cris d'enfants et des postes de radio.
Ce jour-là pourtant, ils n'étaient pas nombreux, pas suffisamment en tout cas pour me dissuader de lancer ma cuillère, d'autant plus qu'aucun d'eux n'était à l'eau.
C'est au quatrième lancer que l'attaque s'est produite, brutale. J'ai cru tout d'abord avoir affaire à un brochet, mais lorsque la bête est montée en surface, mon cœur s'est accéléré. Je tenais la perche de ma vie, un monstre !
Je l'avais bien fatiguée et comme la zone était assez propre et que je ne doutais pas de la solidité de mon matériel, même sans épuisette, je la voyais déjà sur la rive.
Ma prise avait attiré l'attention des quelques baigneurs et alors que je saisissais la perche, une voix féminine m'interpella :
- C'est un brochet ?
J'aurais pu répondre sans lever la tête, mais non, ça a été plus fort que moi, j'ai voulu voir à quoi ressemblait ma baigneuse. Elle s'était avancée dans l'eau jusqu'aux genoux... et je ne vis d'elle qu'une seule chose... ses seins nus.
Un tel spectacle n'était pas banal à l'époque, et mon attention en fut suffisamment relâchée pour que dans un soubresaut, la perche m'échappât des mains et se décrochât pour retourner dans son élément tandis que l'hameçon de la cuillère se plantait dans mon pouce. J'ai laissé échappé :
- La salope !
- C'est dommage !... Il était gros ! m'a lancé la naïade qui n'avait assurément pas entendu mon juron dont quelques instants plus tard, en suçant mon pouce ensanglanté, je me demandai s'il était destiné à la perche qui m'avait échappé ou à la cuillère qui m'avait meurtri le doigt...