J'avais rencontré Muriel près d'un an auparavant. Je l'aimais beaucoup. Elle me devançait largement dans ses projets et parlait déjà de mariage en rêvant de maternité.
Je crois que j'aurais pu imaginer qu'elle me considérait comme le compagnon parfait s'il n'y avait pas eu une épine à notre relation. En effet, elle supportait très mal la compagnie de mes copains avec qui j'arpentais assidûment des parcours balisés par les bistrots de la contrée. Malgré une promesse extorquée sur l'oreiller, il m'arrivait encore parfois d'écorner ma sobriété non désirée.
Ce soir là, sur la route du retour de mon travail, un véhicule visiblement en difficulté me fit ralentir l'allure. Sa conductrice s'échinait en vain sur une roue crevée. Elle accepta mon aide, et une fois ma bonne action accomplie insista pour m'offrir un verre à son domicile.
Sa salle de bain où je me lavai les mains me dit qu'elle vivait seule ; ce qu'elle me confirma dans la conversation qui s'engagea. Elle avait les hanches larges et les seins déjà lourds des femmes mûres pour lesquelles j'avais à l'époque une attirance manifeste. Aussi, son charme ne me laissa pas indifférent. Comme son attitude finit par me convaincre que ce sentiment était partagé, il aurait fallu que j'aie du mou dans la gâchette pour m'obstiner dans la raideur morale. Nos désirs se sont percutés sans pudeur ni débauche, comme une tranche de vie inscrite dans l'ordre naturel des choses. Vous donner les détails de nos ébats ne ferait que provoquer en moi un sentiment nostalgique de paradis perdu. Aussi je m'en abstiens.
Sur le chemin du retour, la poitrine encore tiède de la sienne, je pris en pleine gueule l'image de Muriel m'attendant anxieusement. Cela suffit à diluer la délicieuse torpeur dans laquelle j'étais plongé. Allais-je prétexter un travail urgent, une panne de voiture... ; ou lui dire la vérité au risque de la perdre ? Avec plusieurs heures de retard, je n'étais plus à quelques minutes près. J'entrai donc dans un café et me fis servir un whisky que je bus d'un trait. J'en commandai un second dont l'usage que j'en fis provoqua un doute sur mon état de santé mentale dans l'esprit du patron du bistrot et des autres clients. Avec une générosité sans retenue, je m'en barbouillai les cheveux, le visage et le cou. J'en laissai dégouliner dans mon col avant de m'essuyer les mains sur ma chemise et ma veste et vider le reste du verre sur mon pantalon.
Mon arrivée se passa comme je l'avais envisagée. Muriel oscillait entre l'angoisse et la colère. Elle me bombarda de questions sur les raisons de mon retard. D'une voix volontairement mal assurée ponctuée de bégaiements forcés que j'espérai aussi naturels que possible, je lui fis le récit de mon aventure avec mon automobiliste. Les expressions de son visage allèrent de la surprise à la moquerie en passant par le doute et la colère. L'air tout penaud, je conclus :
- Voilà, je t'ai tout dit. Je te demande pardon.
- Une femme... la quarantaine... Elle t'a invitée chez elle... Tu me prends pour une idiote ?
Puis s'approchant de moi pour me renifler :
- Tu es encore allé boire avec tes maudits copains !
La gifle que son bras ne put retenir et que je n'esquivai même pas me brûla délicieusement la joue.