Lorsque je l'ai débusquée dans le fourré où elle avait trouvé refuge dans l'espoir de m'échapper une nouvelle fois, elle savait que c'en était fini pour elle.
J'aurais pu dégainer mon arme, appuyer le canon sur sa tempe et presser la détente... Elle se serait écroulée au milieu des feuilles et des brindilles. Je n'aurais pas pris la peine ni le temps de l'enterrer. À quoi bon !
Rapidement des insectes auraient colonisé le trou rouge laissé par la balle. Puis la nuit venue, les charognards auraient dévoré le repas que je leur avais offert. C'est ainsi que je concevais la disparition d'un cadavre abandonné à la nature.
Oui, j'aurais pu, j'aurais dû la tuer là, accomplir ma mission, finir le travail.
Mais son cri m'a déstabilisé : TUE-MOI !
Avant d'avoir imaginé la lente dégradation de son corps, je m'étais passé en boucle le film de ses derniers moments tels que je les désirais. Elle se serait jetée à genoux à mes pieds, m'implorant de la laisser en vie. D'un coup de pied rageur, je l'aurais repoussée. Mais elle était restée debout et avait planté son regard dans le mien avant de hurler : TUE-MOI ! Je n'avais pas prévu ça, et elle le savait. Sans doute l'avait elle même calculé. Elle a profité de l'effet de surprise pour s'élancer en direction de la plaine. J'aurais pu l'abattre d'une balle dans le dos bien avant qu'elle quitte la forêt. Mais je ne voulais pas ça. Je voulais qu'elle sente la froideur du métal avant de sombrer. Je voulais voir son visage terrifié et qu'elle voie le mien. Alors je l'ai suivie dans sa course désespérée.
Contrairement à moi, elle était sportive et courait vite. Alors qu'à peine sorti du bois, je peinais déjà, elle foulait la prairie sans difficulté.
L'herbe folle sous ses souliers vernis dansait une vive farandole et le soleil révélait la silhouette de ses jambes au travers de sa robe d'été bleue imprimée de grosses fleurs jaune pâle. Son chapeau à bord larges orné d'un ravissant ruban assorti à sa robe était auréolé de lumière. Elle était belle, trop belle, cruellement belle... mais elle était mon ennemie et devait mourir.
Elle filait, filait, sans jamais se retourner, avec sans doute au cœur le fol espoir qui lui donnait des ailes.
Nous courrions tous les deux depuis de longues minutes. Mon souffle s'épuisait et me brûlait la poitrine. Lorsque les douleurs musculaires sont apparues à mes mollets, elle, n'avait pas ralenti. C'est en tout cas ce dont j'étais convaincu à ce moment-là tant l'écart qui nous séparait s'était creusé. Elle ne m'échapperait pas cette fois ! quitte à changer mes plans et à sacrifier quelques scènes de mon mortel scénario.
Je n'avais rien d'un athlète, mais j'étais un fameux tireur, et il était encore temps de réaliser mon funeste dessein,
Je me suis arrêté, et j'ai empoigné mon revolver avant de viser, froidement, entre les deux omoplates. Il n'y avait plus de haine, juste la technique, la rapidité et la précision. Ce geste je l'avais répété des centaines de fois. Je le réalisais tel un robot : tenir fermement la crosse sans crispation ; passer mon doigt dans le pontet ; Monter l'arme à hauteur des yeux ; presser légèrement la détente jusqu'au point dur ; bloquer ma respiration ; aligner l'arme avec la cible ; bloquer les bras ; presser la détente...
Le coup est parti. Son corps a tressailli sous l'impact, puis a vacillé sur ses jambes incapables de le porter. Son chapeau a volé dans les airs en planant dans un majestueux arc-de-cercle avant de retomber à quelques mètres d'elle.
J'ai pressé le pas et avant même d'être parvenu à son corps, j'ai poussé un long cri de victoire : YAOUOUOUOU ! En jetant en l'air le chapeau de ma panoplie de cow-boy de noël dernier.
Muriel s'est relevée pour me rejoindre et m'a sauté au cou. Nous avons éclaté de rire sous le soleil de juillet naissant.
Les vacances commençaient bien !